Trois Artistes Singuliers

Trois Artistes Singuliers

Article by  Ann Oppenhimer 

Danielle Jacqui, Raymond Reynaud et Réné Escaffre: Quíest-ce que ces trois artistes français ont en commun? Une artiste a decoré à la fois l’extérieur et l’intérieur de sa maison pour faire une oeuvre d’art en soi. Le second artiste a coupé net ses racines dans les beaux arts et, à la retraite, a eu une influence singulière sur un groupe de femmes artistes provençales. Le troisième a fabriqué au cours des vingt dernières années un jardin de sculptures, situé dans un village rural.

Ces trois artistes font partie d’un mouvement d’art connu sous le nom “Outsider.” C’est le mot anglais qui correspond à “art brut,” appelation donnée par Jean Dubuffet en 1945. Dubuffet a été un des premiers à collectionner cet art représentant les oeuvres des créateurs handicapés mentaux, des marginaux et des patients psychiatriques. En parlant de cet art, M Dubuffet a dit, “Ses meilleurs moments sont quand il oublie comment il s’appelle.” Cependant, il y a quelques noms courants pour ce type d’art: art autodidacte, art hors-les-normes, art marginal, et art singulier.

M Dubuffet a aussi attribué la classification, “Neuve Invention,” à certains artistes qui se trouvent dans la zone entre “l’art brut” et l’art contemporain ordinaire. En France, l’art singulier s’identifie davantage à la catégorie, “Neuve Invention,” selon John Maizels, l’éditeur de la revue anglaise, Raw Vision.

Danielle Jacqui, qui habite à Pont de l’Etoile-en-Provence, s’est donné le surnom “Celle qui Peint,” et il faut dire qu’elle peint sans cesse. Mme Jacqui a couvert la façade de sa maison avec ses tableaux, ses écritures et des objets sculpturaux. La façade est une tapisserie de couleurs vibrantes. Dans sa maison — les murs, les passages, les plafonds, les planchers, les meubles — tous sont couverts de peintures, de sculptures grotesques et d’autres formes eccentriques. Il n’y a pas de surface qui échappe à la créativité de Mme Jacqui. Cela donne une sensation de vertige au visiteur. En regardant les photographies de la maison de celle qui peint, on ne peut pas distinguer entre le haut et le bas.

Depuis dix ans, Danielle Jacqui couvre de plus en plus l’intérieur de sa demeure. Aujourd’hui toutes les pièces sont remplies de son art. Quand je lui ai rendu visite récemment, je lui ai dit, “Votre cuisine a disparu!” “Oui,” Mme Jacqui m’a repondu, “Je fais ma propre cuisine là-bas,” sans plus d’explication. Ses robes peintes, ses chaises peintes, les grandes sculptures et tableaux remplissent complètement l’ancienne cuisine.

Danielle Jacqui a été brocanteuse pendant des années, et elle a donc pu rassembler une grande collection qui comprend toutes sortes d’objets: boutons, verres, tissus, livres et antiquités. Mme Jacqui décore non seulement ses robes avec de la peinture mais aussi avec de la broderie. Elle fabrique de grandes poupées portant des tissus brodés, des plumes et, bien sur, des boutons.

Mme Jacqui a tout remplie chez elle, avec une obsession artistique. Son époux, Claude Leclerc, encourage sa femme. Il dit, “Si je restais en un place trop longtemps, elle me peindrait partout, comme un tatouage.”

Danielle Jacqui est active dans le mouvement feministe de la région de Marseille. Depuis 1993, elle organize Le Festival d’art Singulier de Roquevaire, ce qui permet à un groupe d’artistes régionaux d’exposer leur art ensemble. Mme Jacqui publie elle-même une revue qui fonctionne plutôt comme un journal intime de ses pensées et de ses théories sous la forme de poésie, prose et dessins. “Le Bulletin de Celle qui Peint” est un type de “Mail Art,” (“correspondance artistique”) decoré et embelli avec des timbres extraordinaires et des dessins dorés, argentés et multicolores. Ce bulletin est d’une édition limitée et privée.

Danielle Jacqui a déjà montré ses oeuvres dans beaucoup d’expositions en France, notamment “Art Brut et Compagnie: La Face Cachée de l’Art Contemporain,” à Paris, en 1995-96. En 1998, son travail fera partie d’une exposition américaine, “Error et Eros,” au Musée de l’art visionnaire à Baltimore, Maryland. Pour cette exposition, elle a spécialement confectionné quelques robes de mariage, des vêtements pour une reine, une reine de rêves.

Raymond Reynaud, âgé de 77 ans, est le grand homme du mouvement Art Singulier. De 1935 à 1939, il était étudiant à l’Ecole des Beaux-Arts de Salon-de-Provence. Là, il gagne le premier prix de dessin anatomique. Après la guerre, il est artisan-peintre à Sénas jusqu’en 1963. A cette période son travail reflète l’influence de l’Ecole de Paris.

M Reynaud a souffert d’un problème cardiaque en 1959, et sa santé s’est deteriorée, et en 1963, il a été obligé de renoncer à son activité artistique. Pendant cinq ans, il n’a pas travaillé. Puis un jour, il a decouvert les oeuvres des näifs yougoslaves, et l’art de Gaston Chaissac, qui est un des peintres de la Neuve Invention et ami de Jean Dubuffet.


Cette découverte a complètement changé M Reynaud. Avec beaucoup d’énergie, il aborde maintenant de grands thèmes: les fables, les péchés capitaux, les figures politiques, l’histoire et la littérature. Son nouveau travail a été exposé à St.-Maximim en 1973, et de là, il a gagné le nom de “Maître de Sénas.” Par la suite, en 1977, il a ouvert un atelier pour adultes, “Le Quinconce Vert.” Il enseigne l’art à plusieurs centaines d’étudiants. Ce groupe a présenté l’ensemble de son travail sous le nom “Le Mouvement Singulier Raymond Reynaud.”

Une similitude avec des toiles d’araignées, avec beaucoup de détails symétriques et compliqués caractérisent les tableaux de M Reynaud. A cause d’une main tremblante, tous ses dessins portent une sorte de marque déposée. M Reynaud crée aussi des sculptures à l’aide de rebuts et d’objets trouvés. Ses sculptures ressemblent à des monstres longilignes.

Aujourd’hui, Raymond Reynaud habite avec sa femme Arlette dans leur maison de Sénas — une maison, elle aussi, faite de materiaux trouvés, de ciment et de rebuts. Lorsqu’il a besoin de plus d’espace, il ajoute une pièce de plus.

Chez lui, M Reynaud a installé ses centaines de tableaux et sculptures dans toutes les pièces qui défilent comme un labyrinthe. Il a aussi beaucoup d’oeuvres faites par ses élèves qu’il montre avec plaisir. Il est également collectionneur d’art africain, et sa collection de masques et de sculptures est exposée comme dans une galerie. En effet, la maison de Raymond et Arlette Reynaud est un véritable musée. Jean-Claude Caire, le chroniqueur d’artistes singuliers, dit qu’il pense que Raymond Reynaud veut préserver ses oeuvres dans sa maison. Il veut faire de sa maison un monument dédié à l’art singulier.

Raymond Reynaud a exposé son grand polyptique, “Don Quichotte” (320 X 630 cm), à Paris dans l’exposition “l’Art Brut et Cie,” et ses tableaux seront bientôt à Baltimore dans l’exposition, “Error and Eros.” Il continue à peindre tous les jours, et il reçoit les visiteurs avec sa célèbre bonhomie.

Le jardin de Réné Escaffre ressemble à une place de village où les gens se retrouvent après une journée de travail. A Roumens dans la Haute-Garonne — le laitier, le boucher, le fermier, le facteur, le forgeron, la gaveuse d’oie, le berger, la sourcière, et le maçon — ils travaillent les uns à coté des autres comme si le temp s’est arrêté. M Escaffre a exercé le métier de maçon depuis l’âge de 14 ans. Quand il a pris sa retraite, il a troqué son métier de maçon pour celui de fabricant de sculptures en ciment. L’armature de ses sculptures est en fer, et il moule le ciment à la main pour former des motifs humains et animaliers. Les couleurs délicates rendent les figures vivantes.

“J’ai commence à sculpter à l’âge de 60 ans; je travaille donc depuis 16 ans,” a-t-il déclaré. Une des sculptures est un autoportrait: le maçon que porte une truelle à la main, et se lève derrière son mur de maçonnerie. Cette sculpture, fabriquée il y a plus de dix ans, porte un bêret et des vetements semblables à ceux que porte M Escaffre aujourd’hui.

 

Jean-Christophe Cancel, petit-fils de M Escaffre, âgé de 10 ans, apprend ce metier maintenant, faisant des petites sculptures d’animaux en Siporex-Beton, un materiau fait d’eau et de poudre, moins dur que le ciment. Réné Escaffre transmet donc cette tradition artisanale à une nouvelle génération. C’est un art folklorique dans le sens habituel du mot “folk art,” un art qui se transmet de père en fils, ou dans ce cas-ci, de grand-père en petit-fils.

Un éléphant, une girafe, un lion, quelques vaches, des oies, une dinde, deux boeufs, un âne, un cheval forment tout un essemble avec une jeune fille et son cerceau, une sirène et une blanchisseuse. Les sculptures sont dispersées partout dans le jardin enchanté parmi les fleurs et le feuillage d’été. Ce jardin insolite est un petit village en lui-même à l’intérieur du village de Roumens. C’est un tableau d’un autre temps, un temps plus simple et plus doux.

Photographies par William et Ann Oppenhimer.

BIBLIOGRAPHY

JOURNALS AND MAGAZINES

  • “Artistes singuliers,” Taktik 381, http://lia.imt-mrs.fr/taktik/hebdo/h381artistes.html. 16-23 Octobre 1996.
  • Caire, Jean-Claude. “Danielle Jacqui: She Who Paints,” Raw Vision 5 (Winter 1991-92): 42-47.
  • —. “4ème Festival d’Art Singulier de Roquevaire,” Bulletin de l’Association les Amis de François Ozenda. 59(Janvier 1997): 17-45. (Salernes, France)
  • “La Journée Internationale des Femmes,” Taktik, (suite de l’edito) (h353 edito) http://lia.imt-mrs.fr/taktik/hebdo_353/h353lejour.html
  • La Maison multicolore. Un été 97, Canal Plus; http://www.cplus.fr/html/ete97/paca/pont_etoile.htm.
  • Maizels, John. Raw Vision, “What is Outsider Art?” http://www.rawvision.com/whatisoa.html. August 1996.
  • Montpied, Bruno. “Raymond Reynaud,” Raw Vision 4 (Spring 1991): 12-15.
  • Oppenhimer, Ann. “Danielle Jacqui: The One Who Paints,” Folk Art Messenger Vol. 8 No. 3, (Spring 1995): 8-9.
  • Volkersz, Willem. “This is Art, This is Dream, This is Energy: Environments in France,” (Part 1), Folk Art Messenger, Vol. 5 No. 4, (Summer 1992): 1, 3.
  • ______ ” This is Art, This is Dream, This is Energy: Environments in France,” (Part 2), Folk Art Messenger Vol. 6 No. 1, (Fall 1992): 8-9.

BOOKS AND CATALOGS:

  • Arz, Claude. Guide de la France Insolite. Paris: Guides Hachette, 1990.
  • _____. La France Insolite. Paris: Hachette, 1995.
  • Cardinal, Roger. Outsider Art. London and New York: Praeger, 1972.
  • Danchin, Laurent avec Véronique Antoine-Anderson et Martine Lusardy. Art Brut et Compagnie: La Face Cachée de l’Art Contemporain. Paris: Halle Saint Pierre et La Différence, 1995.
  • Duchein, Paul. Les Instinctifs du Midi et Homage à Raymond Reynaud. Montauban: Musée Ingres, 1989.
  • Maizels, John. Raw Creation: Outsider Art and Beyond. London: Phaidon, 1996.
  • Soubiran, Jean-Roger et Gerard Estragon. Vie d’Artiste, Point de vue sociologique: Raymond Reynaud. Toulon: Musée de Toulon, 1987.
  • Thévoz, Michel. L’Art Brut. Genève: Editions d’Art Albert Skira, 1975, 1980.

ANN OPPENHIMER, from Richmond Virginia, is founder and first president of the Folk Art Society of America.

This article first appeared (in English) in The Folk Art Messenger Volume 11, Number 2, Spring 1998

ANN OPPENHIMER is the Executive Director of the Folk Art Society of America

As seen in the Folk Art Messenger:

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